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Pour le mieux-être de tous les enfants 

25 septembre 2025

Mise à jour : 23 septembre 2025

Des pistes pour contrer les biais possibles envers les enfants autochtones en protection de la jeunesse. 

La surreprésentation des enfants autochtones en matière de services de protection de la jeunesse est une réalité connue au Canada comme au Québec. Comment expliquer cet état de fait? Est-ce que l’évaluation de ces enfants se fait différemment de celle des enfants allochtones lors de signalements? Si oui, il convient de s’interroger sur les facteurs qui entrent en jeu afin de rééquilibrer le tout. 

La professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Mireille De La Sablonnière-Griffin s’intéresse au bien-être des enfants et des jeunes autochtones, particulièrement sous l’angle des services sociaux qui leur sont fournis ou non.  

Elle et d’autres collègues chercheuses, en étroite collaboration avec des professionnelles et professionnels de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) se sont penchées sur des données exhaustives afin de mieux comprendre la situation des enfants des Premières Nations en protection de la jeunesse. Leurs travaux, réalisés au cours de la dernière année, apportent un éclairage sur ces questions. Ils ont d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans la revue International Journal on Child Maltreatment. 

« Jusqu’à maintenant, nous disposions de peu de données concernant les facteurs de risque identifiés par les intervenants pour nous permettre de mieux comprendre la situation des enfants des Premières Nations en protection de la jeunesse »

Mireille De La Sablonnière-Griffin, professeure et membre de l’Unité mixte de recherche INRS-UQAT en études autochtones.

Pour pallier en partie ce manque, l’équipe à fait le choix de regarder plus en détail des données recueillies en 2014 dans le cadre de l’Étude d’incidence québécoise (ÉIQ) sur les situations évaluées en protection de la jeunesse. « L’ÉIQ de 2014 a la particularité de porter sur l’ensemble des enfants ayant fait l’objet d’une évaluation en protection de la jeunesse et pas uniquement sur les enfants des Premières Nations. Il était donc pertinent de partir de ces chiffres à des fins comparatives », rappelle la chercheuse.  

Des données à approfondir 

Plus précisément, trois types de décisions rendues par des personnes intervenantes à la suite d’un signalement étaient examinés par les chercheuses : faits non fondés, besoin de protection et retrait du milieu. Qu’ont révélé leurs analyses?  

Premier constat : en ce qui concerne les signalements évalués comme faits non fondés, il n’y a pas de différence entre les enfants des Premières Nations et les enfants allochtones.  

Second constat : les enfants des Premières Nations sont plus à risque d’être évalués en besoin de protection que les enfants allochtones, et ce, même en l’absence de difficultés identifiées chez les parents.  

Troisième constat : uniquement les enfants des Premières Nations dont le logement est considéré surpeuplé sont davantage retirés de leur milieu. 

« Nos analyses montrent que des caractéristiques observées chez les figures parentales et dans les milieux de vie des enfants des Premières Nations influencent les décisions en protection de la jeunesse d’une manière qui n’apparait pas chez les autres enfants, résume Mireille De La Sablonnière-Griffin.  

Ce travail ne permet pas d’affirmer qu’il s’agit de manifestations de racisme ou de discrimination systémique parce d’autres éléments qui nous échappent ont peut-être été pris en compte par les intervenants pour rendre leur décision. Toutefois, devant ces différences, on peut se poser de sérieuses questions à l’effet que des biais persisteraient dans les services rendus à ces familles.  

Des réflexions qui s’imposent 

Ces biais, précise la professeure, pourraient être le reflet des politiques colonialistes dont ont découlé des inégalités socioéconomiques encore présentes aujourd’hui.  

« Les communautés autochtones ont généralement peu de contrôle sur ces inégalités, qui se traduisent entre autres par de la pauvreté et du surpeuplement, puisqu’elles sont issues de conditions structurelles et historiques », ajoute-t-elle. La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (Loi C-92), est en vigueur depuis le 1er janvier 2020.  Cette loi stipule, entre autres, que la condition socioéconomique des familles ne peut pas être la seule raison de prise en charge des enfants. Selon, la chercheuse, il est primordial de documenter l’état de la situation actuelle pour s’assurer que les principes de la nouvelle loi sont bel et bien respectés.  

Pour des solutions durables 

Outre l’importance de réaliser dans les meilleurs délais un portrait récent de la situation, d’autres messages clé sont à retenir de ces travaux, estime Mireille De La Sablonnière-Griffin. D’une part, ces résultats peuvent aider à favoriser de meilleures pratiques en protection de la jeunesse. « Il serait certainement utile d’en tenir compte dans la formation des intervenants, ceci afin de les sensibiliser aux biais qui peuvent influencer leurs prises de décision », affirme-t-elle. 

En revanche, tempère la professeure, les pratiques sur le terrain sont aussi la conséquence de politiques publiques qu’il est fondamental de revoir. Ces changements concernent les milieux institutionnels et gouvernementaux. 

 « N’oublions pas qu’à ce jour, la Loi sur les Indiens est toujours en vigueur au Canada. C’est une loi biaisée et abusive qui a créé des inégalités envers les Premiers Peuples et qui continue de le faire », martèle-t-elle, ajoutant que dans un système d’une telle complexité, les services de protection de la jeunesse ne peuvent pas tout régler. 

Soutenir l’autodétermination des peuples autochtones 

L’équipe souhaite que leurs travaux servent à soutenir le processus d’autodétermination des Premières Nations.  

« Les communautés ont entamé un processus qui leur reconnait notamment le droit de se gouverner et d’édicter leur propre loi en matière de protection de la jeunesse, indique la professeure De La Sablonnière-Griffin. Il est de notre devoir d’appuyer cette prise en charge et de les accompagner dans ce processus. Pour ce faire, il est fondamental de comprendre les pratiques qui ont cours, de les documenter et de mettre ces connaissances à leur disposition toujours dans une approche de co-construction et de partage des savoirs. » 


Liens connexes :  

De La Sablonnière-Griffin, M., Dion, J., Paquette, G. et al. Child Protection Decision-Making Regarding First Nations Children in Quebec: Empirical Support for a Call for Systemic Change. Int. Journal on Child Malt. 8, 83–112 (2025). 

https://doi.org/10.1007/s42448-024-00204-0

Enfants des Premières Nations évalués dans le système québécois de protection de la jeunesse en 2014 : portrait de la situation